Numéro spécial "Le Divin (é)Moi" - Volet 2
Pour ce second volet de l'exposition Le Divin (é)Moi, MAZLO invite l'artiste plasticienne Bérengère Hénin à dévoiler son travail sur le Vanité.
1. BÉRENGÈRE HÉNIN OU L'ART DE LA DÉMYSTIFICATION
En 2011, le Salon de Montrouge mettait en lumière le travail de Bérengère Hénin. Très remarquée, sa vidéo intitulée "Yo MoMA" révélait alors une jeune artiste singulière, portée par la volonté de "démocratiser" l’art conceptuel.
Dans cette œuvre aux accents parodiques et
inspirée des battles de "Ta Mère", elle fusionnait les références
télévisuelles populaires et l’érudition des milieux artistiques. Ce faisant,
elle invitait à repenser les cloisonnements culturels et l’arbitraire des hiérarchies
de valeur. Toutes ces barrières langagières qui entravent la communication et
favorisent la ghettoïsation des idées…
Si l’approche surprend par son caractère particulièrement hétéroclite, on aurait tort d’y voir l’effet du hasard. Car il s’agit bien du résultat d’une décision. La matérialisation d’une jeune et véritable philosophie de la création.
Bérengère Hénin est d’abord une dessinatrice précoce. « Boulimique » selon ses propres dires. Toutefois, elle prend très tôt la décision de ne pas laisser libre cours à ses penchants naturels. Alors qu’elle se destine à une carrière d’illustratrice jeunesse, elle intègre l’école Estienne. Là elle se forme à l’art de la gravure, fascinée par la magie de la technique et par le ballet des outils. Mais le plaisir est trop grand. Contre toute attente, la crainte de céder à la facilité et à la volupté du geste la conduit à contrarier sa vocation initiale. Elle intègre alors l’école des Beaux-Arts et s’initie à l’art conceptuel.
Cette bifurcation
délibérée, pour ne pas dire "contre-nature" illustre parfaitement
l’une des dimensions primordiales de sa démarche. Le travail et le principe de
progrès sont ici au cœur du processus de création. La causticité, l’humour, voire l’irrévérence du
propos cachent ainsi une pratique de l’art vécu comme une ascèse. Au sens " d’exercice ". Le sujet et la forme lui offrent un prétexte
pour se confronter à une technique, sans pour autant chercher à la vaincre ou à
en épuiser les potentialités.
Bérengère Hénin se méfie de la jubilation
ressentie dans le " faire ". Celle-ci suggère trop l’emprise du
plaisir, l’abandon à la contemplation oiseuse. Contre le danger d’une pratique
auto-satisfaisante, Bérengère Hénin a donc trouvé un remède radical: elle éloigne les vertus du hasard.
Cadre. Contrarie le cours naturel de la création.
La beauté n’est pas envisagée comme une fin en
soi. Il s’agit non pas de réaliser un objet techniquement parfait mais de tirer
de la technique et de la matière le résultat le plus conforme possible à l’idée
de départ, tout en acceptant ses propres limites. Faire preuve de souplesse. S’adapter.
Évoluer au fil de l’expérience.
Il s’agit davantage pour elle de tendre à la
justesse, à l’exactitude, à la pertinence. La beauté étant le corollaire nécessaire, logique de l’adéquation
de la forme au sujet.
Calendrier Vanité, 2007. |
Sa pratique s’apparente donc à un
exercice de recherche, d’ajustement volontaire et permanent au sujet de l’expérience.
Elle éprouve dans l’acte créatif son potentiel d’adaptation
à ce monde qui l’entoure et l’inspire, puisant aussi bien dans les œuvres des
Maîtres que dans la pop culture. Foncièrement orientée vers l’expérimentation
et totalement dépourvue d’effusions romantiques, l’approche surprend par son
pragmatisme presque martial. Par son humilité aussi.
Avec pour leitmotiv " Ne nous prenons pas au sérieux ! ", Bérengère Hénin pratique selon l’expression de Milan Kundera, un " art joyeusement démystificateur ".
Les yeux grand ouverts
sur le monde qui l’entoure, elle cultive cependant une nette prédilection pour
certains sujets : l’art, ses pratiquants, ses genres, ses castes, et les a
priori de toutes sortes…
Par son travail, elle entend faire fi des
classements, des hiérarchies, des compétitions et des titres de gloire qui, non
contents de gonfler l’ego, éloignent l’artiste de son but véritable: participer
au monde qui l’entoure dans l’action en cherchant à se redécouvrir lui-même. En
réagissant. En soulignant avec discernement l’absurdité de certains
comportements. En affichant enfin son « être-au-monde » unique et
singulier.
Elle intègre au sein de sa réflexion la globalité de son époque et de ses influences.
L’intérêt se trouve dans la confrontation de ces
mondes antagonistes, étrangers les uns aux autres. L’impact n’a pas pour
mission de désigner un hypothétique vainqueur mais de faire émerger un sens
nouveau et pertinent à travers une décontextualisation féconde.
" L'humour
: l'ivresse de la relativité des choses humaines ; le plaisir étrange issu
de la certitude qu'il n'y a pas de certitude. " Milan Kundera
L'humour faisant
prendre conscience de l'insignifiance de tout, rien d’étonnant à ce que Bérengère
Hénin dirige sa réflexion vers un genre taillé sur-mesure : la Vanité.
D’abord, parce qu’il
répond aisément à son goût pour le procédé de la citation et de la référence. En
témoigne notamment son " Hommage à Hockney " (2012) dans lequel elle
se représente nue face à deux maîtres admirés : Hockney donc, mais
aussi Picasso. Une façon de questionner sa légitimité de femme, mais aussi de
jeune artiste, exposée dans toute la fragilité de son plus simple appareil face
à des personnes aussi établies. Étrange réminiscence également d’un certain déjeuner
sur l’herbe…
Hommage à Hockney, 2012 |
Dans la représentation
obsessionnelle de sa propre image offerte aux regards de tous, s’orchestre une
tentative sincère de détachement
de soi, une allégorie de la relativité de l’image et des liens qui nous
lient à notre matérialité.
Pour l’exposition
le Divin (é)Moi, Bérengère Hénin choisit de renouer avec sa pratique du dessin,
un (long) temps délaissée. Elle se confronte cette fois à l’exercice de l’autoportrait,
épuisant jusqu’à l’obsession la représentation du "soi".
Ne pas y voir
cependant l’expression d’un ego trip mal placé, car dans le registre de la
vanité pratiquée par Bérengère Hénin, le " je " est au centre
du propos mais sans être un objet d’orgueil ou de jugement.
L’artiste objective ici
sa propre intériorité, devient icône, image générique de l’idée dérisoire d’un
créateur soumis à sa condition terrestre. Car dans ses autoportraits ressurgit
toute la trivialité d’un exercice artistique " à l’économie " :
l’artiste en robe de chambre reste encore le plus accessible des modèles...
Le travail de Bérengère Hénin séduit par cette capacité
illimitée à se moquer de soi, à remettre les choses à leur juste place.
Enfin, ultime pied de nez et " spéciale dédicace " à son hôte joaillier, le présentoir Michel-Ange traduit à lui seul sa délicieuse insolence. Elle parodie le geste de " La Création d’Adam " en deux mains de velours, dont l’esthétique désuète fleure bon l’esprit poussiéreux de la bijouterie d’antan…
http://www.berengerehenin.com/
Artiste plasticienne, Bérengère Hénin est née à Paris en 1983.
Elle vit et travaille à Bruxelles.