mardi 1 avril 2014

ARKETIP NUMÉRO 5 - PRINTEMPS 2014 - EDITO

Numéro spécial "Le Divin (é)Moi" - Volet 5





EDITO 
par Céline ROBIN 



La famille et son cortège de figures imposées : les rituels, les célébrations, les photos, les bijoux, tous ces signes extérieurs du bonheur domestique…

Certains les maudissent, tout en refusant de s’en détacher. Je pense notamment à cet homme qui m’avait confié un jour combien il souffrait de ne pouvoir retirer sa chevalière. Une bague offerte pour ses 18 ans par sa grand-mère. Une femme qu’il détestait, selon ses propres mots. Je me souviens de son regard effaré lorsque je lui avais expliqué qu’il suffisait de couper la bague pour se libérer de son joug…
Parfait exemple de ces bijoux de famille, transmis d’une génération à l’autre et qui se muent en entraves, si l’on n’y prend garde.
D’autres envisagent le foyer comme un rempart contre l’hostilité du monde, un cocon idyllique peint aux couleurs surannées des aquarelles de Carl Larsson1avec bambins charmants et repas dominical au milieu du jardin en fleurs…

Il y a ceux aussi qui considèrent la famille comme la mère de tous leurs maux, un concentré des facettes les plus sombres de la société. Ceux-là rêvent de l’atomiser, de lui régler son compte.

Enfin reste le regard frontal. Débarrassé de pathos et de ressentiment. Probablement le seul propice à la reconstruction.

Revisiter, recycler et finalement se réapproprier son histoire, voilà peut-être le meilleur moyen de conjurer les erreurs et répétitions du passé, de faire enfin la paix avec cette réalité familiale si éloignée de nos rêves d’enfant...
Mais l’entreprise demande du courage. Et souvent le talent d’un artiste.

Comme le dit le proverbe : "On sait ce que l’on quitte mais pas ce que l’on gagne". Rares sont les téméraires qui osent rompre avec le "connu", aussi douloureux soit-il.
À quoi bon en effet risquer d’ajouter une déception supplémentaire à nos désillusions?

Et puis… La liberté a un prix, comme nous le rappelle l’héroïne du dernier court-métrage de Chloé Mazlo.
Enfin libérée, on la voit se recueillir une dernière fois sur la tombe de ces "petits cailloux"qui lui empoisonnaient la vie. Puis, d’une démarche vacillante, s’éloigner dans le lointain. En équilibre instable certes, mais délestée de son fardeau, elle réapprend à marcher...

Ultime mythe contemporain, la Famille Idéale semble avoir un bel avenir devant elle. Entre faillite des grands systèmes politiques, défiance à l’égard des institutions religieuses et perte de confiance envers les médias, elle pourrait bien constituer le dernier refuge de nos idéaux. Si l’on en juge par les réponses des plus jeunes à l’enquête "Génération quoi ?"3 ou par les violents débats suscités par le Mariage pour tous, le "Familles je vous hais" d’André Gide n’a jamais été aussi éloigné de nos aspirations.

Comme le souligne Chloé Mazlo, "on sait tous que la famille parfaite n’existe pas et pourtant on veut tous y croire". Et c’est précisément là que le bât blesse. La "famille idéale" est un voeu pieux, à l’instar de bien des croyances. Plus tôt on y renonce, plus on a de chance de s’en approcher, même modestement…

Aborder le thème du divin en questionnant la notion de croyance et en s’attaquant à la déconstruction du mythe de la famille, tel est précisément l’angle inattendu choisi par Chloé Mazlo, pour le dernier volet de l’exposition Le Divin (é)Moi.

La jeune réalisatrice, un brin iconoclaste, a fait main basse sur ses archives et albums de photos, histoire de les revisiter à sa façon. Elle livre un impressionnant corpus de dessins rassemblés sous le titre "Histoires de famille" et nous convie ainsi à relire, à la lumière de son regard singulier, les clichés qui tissent la trame de son roman familial.

Le temps d’une exposition, ce dialogue entre un père et sa fille, entre les bijoux de l’un et les portraits de l’autre, offre le spectacle touchant d’un work-in-progress : la réalité familiale transcendée par l’amour de l’art.



1. Exposition "Carl Larsson, l’imagier de la Suède" au Petit Palais, Paris, du 7 mars au 7 juin 2014.
2. Les Petits Cailloux, court-métrage de Chloé Mazlo, 15 min, 2014. Produit par les Films Sauvages, avec le soutien du CNC et de France 2.
3. Enquête lancée à l’automne 2013 auprès des 18-34 ans par France Télévisions.