1. ENTRETIEN AVEC ANTOINE CORBINEAU
propos recueillis par Céline Robin
Né en 1982, Antoine Corbineau est peintre, graphiste et illustrateur. Il vit et travaille à Nantes.
Il expose ses travaux à la galerie LA Joaillerie, du 29 septembre au 2 novembre, dans le cadre du cycle Le Divin (é)moi autour des pièces uniques de haute joaillerie Mazlo.
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Piscine B, acrylique sur papier, 2013. |
Comment êtes-vous devenu peintre ?
J’ai
commencé très jeune à suivre des cours de peinture après l’école, sur
les conseils d’une institutrice de maternelle qui avait remarqué mon
attirance pour le dessin. Je n’ai jamais totalement abandonné durant ma
scolarité, j’ai toujours consacré quelques heures par semaine à peindre
ou dessiner. J’ai ensuite choisi de poursuivre des études artistiques de
manière assez naturelle, mais je n’ai pas orienté mes choix d’options
vers la peinture. Je ne me sentais pas capable à cette époque de
m’investir exclusivement dans cette direction, et n’imaginais encore que
très peu la possibilité d’en faire un métier à ma sortie d’école. Par
ailleurs, la peinture n’était pas vraiment le medium le plus facile à
défendre dans la section Art de mon école. À l’époque, performances
conceptuelles et vidéos trash tenaient le haut du pavé. J’ai donc étudié
le graphisme, puis commencé à pratiquer l’illustration de manière
professionnelle à ma sortie d’école, tout en continuant à peindre en
parallèle et en participant à plusieurs expositions de groupe, encouragé
par une galerie à Londres puis à Paris. Ma sélection au Salon de
Montrouge et les retours positifs qui s’en sont suivis, m’ont aidé à
intensifier ma pratique, que je poursuis maintenant avec la même
assiduité que mon travail d’illustrateur.
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L'avion de Tchelny, acrylique sur papier, 2013. |
Ces
dernières années, vous avez acquis une certaine notoriété en tant que
graphiste et illustrateur. Quelle place votre oeuvre de peintre
tient-elle dans votre activité ?
L’illustration
me permet de gagner ma vie et de me laisser suffisamment de temps pour
la peinture, qui est une activité clairement plus aventureuse, difficile
et solitaire. J’ai un attachement plus profond à la peinture, plus
amoureux, tandis que mon attrait pour l’illustration appliquée est
certainement plus rationnel et pratique, même si j’y prends beaucoup de
plaisir. J’y trouve en tout cas un équilibre et j’aime avancer sur ces
deux plans. La séparation entre les deux est très claire dans mon
esprit, et dans le même temps, les deux peuvent s’enrichir
réciproquement en terme d’inventivité dans les procédés graphiques.
La peinture aurait-elle une fonction méditative ?
Probablement,
ou plutôt, elle nous plonge dans une forme de méditation, justement par
le fait qu’elle n’a pas de fonction évidente. Il ne s’agit que de
simples pigments assemblés dans un certain ordre et qui pourtant
suscitent tant d’attraction et d’attention. Je pense en réalité que nous
avons besoin de la protection de ces images. Chacun cherche, trouve et
s’entoure d’images-icônes qui seules sont capables de traverser le temps
en restant imperturbables, immuables et vivantes. Je lisais hier la
lettre de Marcel Ravidat, premier visiteur des grottes de Lascaux
relatant son indescriptible émerveillement lorsqu’il fit la découverte
des dessins recouvrant les parois. C’est certainement cela qui fait que
l’on continue à peindre. Et que les peintures continuent à être
regardées. Il me semble que nous avons eu, de tout temps, besoin de
fixer autour de nous de faux reflets du réel, capables d’apaiser nos
peurs.
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Divisible indivisible, acrylique sur papier, 2012. |
Vous
employez l’expression « faux reflets du réel ». Plus haut « rendre le
miroir magique ». Le peintre et l’artiste en général trouveraient-ils
dans leur art un moyen de s’approprier le réel pour enfin, avoir
l’illusion de le maîtriser ?
Je
ne pense pas qu’il s’agisse de se l’approprier mais plutôt d’essayer
d’en révéler des faces insaisissables, comme un miroir sans tain
finalement, entre la révélation et le reflet.
Juhani Pallasmaa dans son livre « La Main qui pense », écrit ceci : « Quand
il se manifeste précocement, le sentiment de certitude, de satisfaction
ou d’aboutissement peut se révéler catastrophique. Surtout,
l’incertitude préserve et stimule la curiosité, et à condition de ne pas
verser dans le désespoir ou la dépression, elle constitue un moteur et
une source de motivation du processus de création. Le travail de
conception consiste toujours à partir à la recherche de l’inconnu, à
explorer un territoire étranger. Il faut que le processus lui-même – les
gestes des mains qui cherchent – expriment la nature fondamentale de ce
voyage d’exploration. » Partagez-vous ce point de vue ?
Tout
à fait. J’ajoute que ce n’est pas facile ! Il faut savoir se nourrir de
satisfactions de temps à autre, savoir apprécier le travail que l’on a
accompli, même si ce n’est que pour quelques instants ou quelques
heures. L’état d’incertitude ou d’insatisfaction permanent ne peut pas
être un moteur durable.
Vous ne vous reconnaissez donc pas dans la posture de l’artiste romantique, traversé par le doute ou le tourment ?
Non,
mais je suis d’accord avec le fait que la précarité de la condition
d’artiste, le fait de devoir trouver soi-même une direction à son
travail, et qu’il soit très difficile d’en récolter les fruits, puisse
plonger dans de très profonds moments de doute, même de tristesse, de
découragement. Je pense qu’avoir une seconde activité moins solitaire
est dans mon cas une bonne chose, justement pour éviter de baisser les
bras, pour être en mouvement plutôt que dans une posture.
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Texto, acrylique sur papier, 2013. |
Changer
d’avis, d’orientation en cours de travail, n’est-ce pas tirer parti de
l’accident? Le travail de la main autoriserait-il une forme de
lâcher-prise que ne permet pas un travail uniquement conceptuel ?
L’accident
n’est pas toujours un problème, mais souvent une issue, en effet. Pas
forcément l’accident d’ailleurs, c’est juste le fait de faire avec,
d’accepter l’écart qu’il peut y avoir entre ce vers quoi l’esprit
voulait aller et ce vers quoi la main emmène. En tout cas, un travail
uniquement conceptuel ne saurait accepter cet écart.
Y-aurait-il
une différence d’approche entre le travail de graphiste/illustrateur et
celui de peintre ? Une distinction du même ordre que celle qui existe
en artisanat et art ?
L’approche
de l’illustration dans mon cas est assez claire, je reçois des
commandes, des visuels en référence et une problématique à résoudre
visuellement. J’ai un délai et une liste de contraintes à respecter, et
plusieurs intervenants avec lesquels je collabore pour réaliser le
travail. Généralement le plus rapidement possible ! Ma méthode de
travail est donc organisée et mon dessin assez cadré, plus proche de
l’artisanat classique. J’ai le devoir de dessiner régulièrement, de
pratiquer avec rigueur, d’entretenir mes outils, pour que le produit
soit bien réalisé et convienne au besoin du client. La peinture, tout en
exigeant des compétences techniques indispensables et une rigueur
similaire, donne une liberté totale quant à la démarche et au résultat.
Elle autorise l’écart entre les deux, puisque ce que mon pinceau est
capable techniquement de transcrire, n’a pas à être et ne peut
d’ailleurs pas être l’exacte exécution de mon intention initiale,
l’image/idée que j’ai préalablement plus ou moins en tête. A la
différence d’un artisan qui fabrique une ceinture en cuir qui doit
répondre à une fonction, ma ceinture n’a pas cette obligation. Elle peut
mesurer 20 mètres de long. C’est en même temps la difficulté de la
tâche. Comme d’avancer au-dessus du vide sur un chemin qui n’est pas
préalablement tracé et qui pourrait très bien ne mener nulle part.
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L'indienne, acrylique sur papier, 2013. |
Si vous deviez vous choisir une famille artistique, quelle serait-elle ?
J’aime
la force des artistes dits « outsiders », de l’art brut. Justement
parce que chacun d’entre eux est un cas particulier. Chacun se nourrit
avec les moyens du bord et sans esprit de clan. Parmi les artistes
reconnus que j’apprécie beaucoup : Jérome Bosch, David Hockney, Peter
Doig, Raymond Pettibon,Tacita Dean, Henry Darger, Ed Ruscha ou encore
Stephan Balkenhol, Tony Oursler, Richard Serra, Ange Leccia.
Est-ce à dire que vous vous considérez comme un peintre autodidacte ? Vous n’avez jamais été sous l’influence d’un maître ?
Pas
autodidacte puisque j’ai suivi des cours techniques en peinture
jusqu’au lycée. En revanche, je n’ai pas suivi de formation purement «
beaux arts » par la suite. Par conséquent, je ne possède pas le bagage
théorique et référentiel officiel. Ma démarche est donc probablement
plus spontanée, sans pour autant être totalement affranchie de toute
connaissance technique et conceptuelle.
Pour
autant vous auriez pu être influencé par une figure tutélaire. Ne
serait-ce que dans l’élan qui vous a poussé à embrasser cette vocation
artistique ? Ce n’est pas le cas ?
Je
pense que le contexte de mon enfance a été favorable à la naissance de
cette vocation, plus qu’une figure tutélaire en particulier. N’étant pas
né dans une famille d’artistes, je pense néanmoins avoir été marqué par
les peintures fixées sous verre présentes chez mes parents, venant de
l’enfance et adolescence en Afrique de l’ouest de ma mère et de mes
grands-parents. Et par des livres et revues sur l’art brut auxquels ma
mère était et est certainement toujours abonnée, par les oeuvres de
Basquiat, puis par les dessins de Raymond Pettibon à travers des
magazines de surf. Ce type de démarche artistique, assez brute, et de
reconnaissance m’ont certainement fait envisager plus sérieusement
d’aller vers un parcours artistique.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Avez-vous une prédilection pour certains sujets ?
Elles
sont très diverses, donc difficiles à nommer. Le voyage, qu’il soit
réel ou qu’il ait lieu dans les livres que je lis, a sûrement une bonne
place. Après l’avoir recomposé de manière très libre, je regarde
davantage ce qui m’entoure. Certaines des peintures récentes sont des
souvenirs revisités de certains lieux, comme récemment en Russie.
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La toile et l'enfant, acrylique sur papier, 2013. |
Comment expliquez-vous que vos
oeuvres se caractérisent par un espace pictural très souvent saturé ?
Comme si le sujet dévorait la toile au point de la dépasser.
J’essaie
en ce moment au contraire de dé-saturer l’espace, après avoir travaillé
pendant plusieurs années sur des compositions très denses. Certaines
oeuvres de Bruegel et Bosch me fascinaient pour cela. J’ai souvent en
tête la vue d’une fenêtre d’un train en mouvement, et l’idée de pouvoir
combiner une succession d’espaces, de scènes, de personnes. En ce moment
le train va moins vite, la vue est moins chaotique. Je vois moins de
choses mais plus longuement.
Quelle
place peut occuper la peinture en tant que medium sur la scène
artistique contemporaine ? Quelles sont les voies d’exploration encore
possibles et quelles sont celles que vous vous êtes choisies ?
Question
très complexe ! Il y a semble-t-il une scène, la plus visible en
France, pour laquelle l’outil ou le medium sont exclusivement au service
de l’intention conceptuelle de l’artiste, principalement sous la forme
d’installations. Le résultat est souvent soit un bric-à-brac, soit à
l’inverse, un peu rococo ou maniériste dans la réalisation. Mais cela
importe peu dans cette forme de démarche où l’idée prévaut. C’est une
scène sur laquelle la peinture est très minoritaire. Il me semble que la
peinture continue et doit continuer de coexister de manière
indépendante, dans une pratique et une élaboration plus individuelle et
artisanale, dans laquelle l’exploration se fait dans la limite du médium
peinture et de son support. C’est cette humilité dans le choix de
l’outil qui me plait.
Dans votre cas, le processus de création obéit-il à un rituel ? De quelle façon procédez-vous ? Suivez-vous certaines étapes ?
Je
ne pense pas que l’on puisse parler de rituel. Je tiens un carnet de
croquis, dans lequel je griffonne de manière plus ou moins poussée,
parfois en couleur, des idées de compositions. Souvent en me basant sur
des scènes ou des situations réelles, parfois mélangées avec des images
vues sur internet, des photos, mais aussi des scènes lues dans des
livres.
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L'homme à l'ordinateur, acrylique sur papier, 2013. |
Votre travail semble traversé par
certaines obsessions ou leitmotive tels que la cartographie, l’emploi de
citations… Pouvez-vous m’en dire davantage sur le rôle de ces éléments
dans vos compositions et sur leur origine ?
Pour
la cartographie, ou du moins, les vues d’un point élevé, elles sont en
effet récurrentes dans mes peintures, mais pas systématiques, ou de
moins en moins. Je suis un grand amateur des vues satellites de Google
Maps, maintenant à 45° pour certaines villes. J’ai d’ailleurs vu
récemment quelques oeuvres récentes de Philippe Cognée, basées sur des
vues satellites, très intéressantes. Cette attirance transparaît
certainement dans mes choix de compositions, avec l’idée d’oeil qui
voyage et qui capture des objets, des morceaux de ville, des êtres
humains. J’utilise des phrases et citations sur certains travaux, mais
là encore, moins en ce moment. Je m’intéresse beaucoup au décalage qui
se crée dans la confrontation d’ une image avec des mots qui ne
coïncident pas de prime abord. J’ai cette idée de point de vue en
mouvement. Plus récemment, j’essaie d’élaguer et de voir comment créer
ce décalage sans employer les mots.
Vous utilisez parfois des paroles de chanson. Existe-t-il un lien entre votre travail sur la peinture et la musique ?
Mes
motivations sont certainement les mêmes que celles du musicien
composant une chanson. Au-delà du fait que j’ai toujours admiré la
capacité incroyable de la musique à toucher son auditoire,
immédiatement, j’ai souvent en tête en travaillant, l’idée de faire une
peinture comme je composerais un morceau de musique. D’ailleurs
également avec le souhait qu’elle puisse vivre en indépendance, tout en
étant liée à une série d’autres peintures tout autour, comme un album.
L’utilisation que je fais parfois de phrases ou extraits de chansons
découle de cela.
J’aime la
confrontation des mots et de la musique autant que celle des mots et
des images. J’aime également le cocon que peut former l’espace
d’exposition, la galerie, où la sélection d’oeuvres existe comme un
microcosme.
Pensez-vous
que vous êtes en train d’aborder une nouvelle étape dans votre parcours
créatif ? Quelles sont les raisons de ce changement d’orientation ?
Certainement.
Je crois m’être détaché de certaines habitudes autant que de certaines
orientations dans lesquelles je ne trouvais pas d’issue. Cela est
probablement dû au fait que je passe maintenant de plus en plus de temps
à peindre. Cela me permet d’avancer plus régulièrement, de progresser
techniquement et donc d’envisager mes travaux différemment. Je pense que
je suis également moins nerveux depuis deux ans. L’expérience du deuil,
correspond aussi à ce changement. Il m’a élagué autant qu’il a élagué
mon travail, il me semble.
La
première formule qui me vient à l’esprit en voyant vos œuvres, y
compris celles de la toute dernière série du Springboard, c’est «
paysage habité ». Les individus semblent à la fois profondément
conditionnés par leur « habitus » tout en demeurant apparemment
étrangers les uns aux autres. L’interaction semble davantage se situer
au niveau de l’environnement matériel qu’au niveau humain. Est-ce une
façon pour vous de questionner une certaine forme d’isolement entre
individus ?
Probablement.
Je m’intéresse beaucoup à la notion d’exil intérieur. L’espace et le
temps que l’on peut créer en soi volontairement ou involontairement, les
bulles dans lesquelles les individus semblent parfois évoluer. Comme
plusieurs univers juxtaposés, qui coexistent sans être liés. Je pense
que l’on peut percevoir cela dans mon travail. J’aime aussi ramener les
individus dans la nature, aux portes des villes et les poser là comme
des pierres, et observer ce qui se passe.
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Plus petit splash, acrylique sur papier, 2013. |
Vos
travaux précédents m’évoquaient un réel fantasmé, recréé. Comme traversé
par des visions d’une nature plongée dans le chaos. Une nature qui
semblait comme « remontée » contre l’Homme et la menace de son action
sur elle. En se recentrant sur des sujets plus isolés, votre travail
semble également offrir une image plus apaisée du monde. De la même
façon, les vues en plongée qui caractérisaient vos précédents travaux,
contribuaient à créer une impression de vision « démiurgique». Comme si
vous observiez de loin les créatures qui peuplent la surface de la
terre. Aujourd’hui ce point de vue est plus horizontal. Comme une
observation réciproque et d’égal à égal. Qu’en dites vous ?
Certainement,
je pense que j’avais l’ambition de décrire le chaos dans son ensemble,
une sorte d’ambitieuse symphonie décadente et dense, mais je pense qu’il
aurait fallu être bien plus sordide et sombre pour cela.
Rétrospectivement, il s’agissait à mes yeux d’une fausse route, mais
sûrement nécessaire. La réorientation est venue progressivement à mes
yeux. Je pense être maintenant plus près du réel, plus chaleureux dans
mes intentions. Plus optimiste. Je reviendrai certainement plus tard à
ces idées mais différemment.
Vous
évoquez l’intériorité, la notion d’espace clos, de bulles et pourtant,
paradoxalement, vos personnages évoluent le plus souvent à ciel ouvert.
Peu de vues d’intérieurs. Comment l’expliquez-vous ?
Je
ne l’explique pas vraiment, c’est un hasard. J’ai d’ailleurs plusieurs
croquis d’intérieurs que j’utiliserai bientôt. Je suis cependant plus
touché par ce qui se passe dehors, il y a plus de choses à voir, les
impressions sont plus variées. Choisir un sujet, une scène, c’est comme
le mettre sous cloche pour le laisser se révéler par lui-même. J’aime
que les éléments naturels soient présents sous cette cloche. Voilà
pourquoi peu de scènes intérieures pour le moment.
J’aimerais
une nouvelle fois citer Pallasmaa au sujet du lien qu’il souligne entre
le monde et le moi. Il me semble que votre travail trouve une résonance
tout à fait pertinente avec ce texte : « Dans le travail de création,
l’attention se concentre simultanément sur le monde et sur le moi. Aussi
toute oeuvre d’art est-elle fondamentalement une représentation
microcosmique du monde et, en même temps, un autoportrait inconscient.
Jorge Luis Borges décrit remarquablement cette double perspective : « Un
homme se fixe la tâche de dessiner le monde. Tout au long des années,
il peuple l’espace d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de
golfes, de vaisseaux, de maisons, d’instruments, d’astres, de chevaux et
de personnes. Peu avant de mourir, il découvre que ce patient
labyrinthe de lignes trace l’image de son visage ». Qu’en pensez-vous ?
C’est certainement vrai. Je mets
certainement beaucoup de moi involontairement. Je suis heureux que cela
puisse faire évoluer mon travail par conséquent. Je vois de manière
assez évidente une évolution de mon travail suivant les différents lieux
où j’ai habité et où je suis allé, mais je perçois également qu’une
partie de cette évolution est structurée par un squelette qui était déjà
présent dans mon esprit quand je peignais à l’école, dans mes premiers
cours du soir de peinture. Comme si, depuis, je tourne toujours autour
de la même intention, en effet probablement comme un autoportrait
progressif.
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Big bad wolf, acrylique sur papier, 2012. |
Vous évoquiez plus haut une «
ambition d’ordre spirituelle ». Or le thème de cette exposition
s’articule autour de la notion de « Divin ». De quelle façon vous
êtes-vous approprié ce thème ? Comment l’avez-vous abordé ?
Une sorte de coïncidence est tombée à
point lorsque la proposition d’exposition autour de ce thème m’a été
faite. J’ai trouvé intéressant de prendre en compte autant la notion de
divin que celle de l’émoi. Mon voyage en Russie m’a semblé tout de suite
une bonne circonstance pour nourrir cette réflexion. Le pays tout
entier est un espace d’investigation du spirituel, qui cherche ses
icônes, en construit de nouvelles, continue à en détruire d’autres. Et
le dépaysement que ce voyage a constitué, me donnait la possibilité de
souvent voir le réel comme un irréel. Je me suis donc fixé comme
objectif de construire cette exposition à partir de cette expérience.
Les
oeuvres issues de ce voyage semblent traversées par une atmosphère de
douce mélancolie . Est-ce le reflet de votre perception de ce pays ?
Certainement,
mais c’est un sentiment parmi tant d’autres que j’ai ressentis là-bas.
Ce pays laisse aussi émerveillé que perplexe, aussi furieux que
nostalgique. Tout sauf indifférent. C’est cet aspect insaisissable qui
m’a intéressé dans le cadre des travaux que je montre maintenant.
Pouvez-vous
m’en dire davantage sur « Plus petit splash », sur l’histoire de cette
œuvre qui manifestement prend sa source dans le « Bigger Splash » de
Hockney mais dans une veine plus proche du « champignon atomique ».
L’humour n’est pas étranger à votre approche, n’est-ce pas ?
Essayez-vous par ce biais de créer des complicités avec le regardeur ?
Dans
ce cas, oui tout à fait. Il s’agit d’un clin d’oeil. Mais en général je
préfère les titres assez neutres et simples. C’est une exception et un
modeste hommage à Hockney dont j’admire le travail autant que le
discours. Quant à l’humour dans mon travail en général, là aussi il y a
aussi parfois des clins d’oeil, maisj’aime que cela reste dans
l’entre-deux. Je pense notamment à « Big bad wolf », une toile sur
laquelle est représentée une sorte de courtier new-yorkais visionnaire,
avec la phrase « he was the big bad wolf ». Bien que celle-ci soit
affirmative et qu’elle puisse être interprétée en rapport au personnage
spontanément, on n’en connaît ni l’auteur, ni l’objet. Elle est
indépendante de mes opinions et peut finalement avoir plusieurs
significations.
Vos
œuvres conversent librement, au sein de cette exposition, avec celles
de Mazlo. Quels liens pouvez-vous établir entre votre pratique
artistique et celle de la joaillerie telle qu’il la conçoit ? Au-delà de
la thématique, sur quel plan vos approches respectives se
rejoignent-elles ?
Lorsque
j’ai vu certaines des oeuvres récentes de M. Mazlo, j’ai tout de suite
eu le sentiment que mon angle de travail actuel croisait le sien de
manière surprenante. Comme deux bateaux, qui se retrouvent un matin par
un incroyable hasard bord à bord au milieu de l’Atlantique. Je pense que
nous avons en commun cette volonté de faire confiance aux vertus du
lâcher-prise, de faire confiance à la matière et à sa capacité à révéler
des signes. C’est plus ou moins cette idée qui pourrait ressortir assez
clairement dans mes trois derniers formats carrés, où un personnage
semble révéler ou voiler l’espace qu’il occupe.
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L'homme à la caravane, acrylique sur papier, 2013. |
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La fumeuse, acrylique sur papier, 2013. |
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Le ponton, acrylique sur papier, 2013. |
EXPO SOLO Antoine Corbineau dans le cadre du cycle Le Divin (é)moi autour des pièces uniques de haute joaillerie Mazlo.
Exposition jusqu'au 2 novembre 2013.
Du mardi au vendredi de 13h30 à 19h
le samedi de 11h à 19h
La Joaillerie par Mazlo
31, rue Guénégaud
75006 Paris
Merci à tous ceux qui ont pu être présents samedi!