Numéro spécial "Le Divin (é)Moi" - Volet 3
Pour ce troisième volet de l'exposition Le Divin (é)Moi, MAZLO invite le peintre Antoine Corbineau à déployer son "Imaginarium"
1. L'IMAGINARIUM D'ANTOINE CORBINEAU
Après le Springboard, première exposition personnelle présentée à Paris en juillet dernier à la galerie LJ, le peintre Antoine Corbineau confirme ses nouvelles orientations de travail. Pour le cycle le Divin (é)Moi, il signe des oeuvres aux accents métaphysiques, mais nimbées cette fois d’une sérénité inédite ...
Illustrateur à la notoriété grandissante, Antoine Corbineau cultive également une oeuvre de peintre même s’il est vrai qu’il lui aura fallu le déclic d’une sélection au Salon de Montrouge en 2011 pour se convaincre d’y consacrer, enfin, le temps et l’énergie
nécessaires.
Son style à la fois foisonnant et immédiatement identifiable ainsi que son goût immodéré pour le genre de la cartographie n’ont d’ailleurs pas manqué d’influencer ses premières oeuvres peintes. Mais au cours de ces trois dernières années, l’artiste s’est peu à peu affranchi de l’artisan, se façonnant un univers pictural original. Un champ d’investigation parallèle, qui tout en se nourrissant de son travail d’illustrateur, le conduit vers des voies encore inexplorées.
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Pause près du pont, 2013. Acrylique sur papier. 32 x 24 cm. |
Antoine Corbineau n’est pas issu d’une famille d’artistes et c’est tant mieux. Dessinateur précoce, il sacrifie un temps aux figures imposées des cours académiques, puis se libère très vite du carcan de l’art dit « sérieux ». Il renoue ainsi avec une veine débridée et plus spontanée à laquelle l’histoire de sa famille n’est pas étrangère. Biberonné à l’art brut dont sa mère est une amatrice inconditionnelle, il passe son enfance le regard baigné par les oeuvres qui se déploient sur les murs de la maison. De sa famille maternelle, longtemps expatriée en Afrique de l’Ouest, il héritera donc une approche artistique décomplexée.
Quelques années s’écoulent néanmoins avant qu’il ne mette cette inspiration au service de la peinture. Il choisit d’abord de mener des études de graphisme et d’illustration aux Arts Déco de Strasbourg avant de s’échapper à Londres. Il en revient diplômé du prestigieux Camberwell College of Art.
Sous la double casquette d’illustrateur et de graphiste, il trace depuis un parcours sans faute, se taillant peu à peu une place de choix dans le monde de l’imagerie contemporaine. Mais l’envie de peindre le tenaille. Bravant la tendance de l’art contemporain à la dématérialisation, il s’engage sur la voie périlleuse de la peinture, figurative de surcroît… À Londres et Paris, deux galeries observent et soutiennent ses premiers pas de côté vers la peinture, et le poussent à oser une candidature au Salon de Montrouge en 2011. L’essai sera concluant et son travail largement plébiscité.
UN STYLE EN MUTATION
C’était il y a deux ans à peine et pourtant que d’évolution depuis Montrouge. Si les procédés et le style pictural restent inchangés, il est clair que l’artiste opère depuis peu un véritable virage. Probablement délesté de ses démons, il s’est définitivement approprié son medium.
Là où les mots, les superpositions et juxtapositions de plans surlignaient son propos, dans une atmosphère de chaos perpétuel, ne demeure plus que l’épure de l’image, le sujet enfin recentré sur lui-même.
L’espace pictural s’est également réduit. Auparavant saturé de couleurs, de formes, de personnages et de mots, il se fait peau de chagrin, aspirée par son support. Difficile de contempler la fumeuse, l’homme à la caravane ou Piscine B sans penser aux ostraca de l’Égypte antique, ces éclats de calcaire et fragments de poterie sur lesquels scribes et artisans composaient de brillants exercices de dessin sur le vif. Outre la forme de l’îlot de pigments qui rappelle les contours aléatoires de ces fragments, on retrouve le même sens aigu de l’observation, le même humour sous-jacent et l’imagination surtout, qui donne vie aux scènes les plus improbables.
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L'homme au barbecue, 2013. Acrylique sur papier, 53 x 53 cm. |
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Ostracon satyrique: un chat sert et évente un souris. Égypte/Nouvel Empire / Calcaire / Provenance inconnue ( probablement Deir el-Medina ) / 12.5 x 9 cm |
LE VOYAGE
Bien qu’il ne se revendique d’aucune chapelle, on peut isoler quelques traits saillants et influences majeures au sein de cette oeuvre en devenir.
De prime abord, son approche évoque l’univers d’un Douanier Rousseau. Quand bien même le maître des Naïfs ne compte pas au nombre de ses influences déclarées, Antoine Corbineau partage néanmoins avec cet auguste prédécesseur un même goût pour le voyage et surtout pour les paysages recomposés. Mais en dehors des similarités d’approche, tout sépare les deux peintres.
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Henri Rousseau, dit le Douanier (1844-1910), La Guerre. Vers 1894, Huile sur toile. H. 114 ; L. 195 cm © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / DR |
Chez Antoine Corbineau, la gaucherie, pour assumée qu’elle soit, est d’abord l’empreinte d’un style et d’une intention dont la naïveté apparente est trop affectée pour ne pas trahir le raffinement de la main et de l’esprit à l’oeuvre dans ses compositions.
De plus, Internet est indéniablement passé par là et avec lui son cortège de vues satellitaires qui imprègnent abondamment les cadrages choisis par l’artiste. En résultent des effets de plongée qui mettent le regardeur dans une position de démiurge.Révélant en filigrane le plaisir d’apprenti sorcier pris par l’artiste qui pose et dispose ses personnages au gré de ses envies dans des paysages fantasmés, histoire de voir « ce qui se passe »...
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Cargo, 2013. Acrylique sur papier. 32 x 24 cm. |
L’IMAGINARIUM
Grand admirateur de l’oeuvre de Bosch, Antoine Corbineau reprend également à son compte une certaine liberté avec les conventions de représentation. Aux lois de la perspective, il préfère l’utilisation de lignes de force horizontales qui scandent le fond de ses paysages en grandes bandes colorées, étagées du haut vers le bas.
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Glisse dans la baie, 2013. Acrylique sur papier. 32 x 24 cm. |
Le monde qu’il dépeint est un no man’s land, nourri de souvenirs, de lectures et de rêves. Ce réel recomposé se déploie sous la forme d’une fantasmagorie qui opère en sourdine, au travers de menus détails, presque indécelables mais qui ajoutent soudainement à l’image un contenu décalé, voire saugrenu.
Émerge alors la conviction que le plus important, le mobile de l’oeuvre, se trouve en dehors d’elle-même. Ce que suggèrent encore les personnages de ses dernières toiles, dont les protagonistes soulèvent le coin d’un voile.
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M. C. Escher, La Cascade. Lithographie, 1961. |
Manière de suggérer que l’art n’est qu’un leurre ? Un procédé illusionniste dont la fonction consisterait à nous plonger, ne serait ce qu’un instant, dans un monde improbable, peut-être même absurde ? Oscillant entre « l’autre côté du miroir » et les mondes impossibles (La Source rappelle étrangement la cascade d’Escher sous l’oeil de Ledoux), on aurait tort de voir en Antoine Corbineau le héraut de nouvelles utopies.
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La source, 2013. Acrylique sur papier. 65 x 50 cm. Collection privée. |
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Tel le Baron perché d’Italo Calvino, solitaire ermite « qui ne fuyait pas les hommes » et contemplait le monde du haut de son arbre, il porte un regard sans complaisance sur le monde qui l’entoure mais n’y ajoute pas pour autant la pesanteur du jugement. Tout juste s’autorise-t-il à en (sou)rire. Quand Antoine Corbineau déploie sa vision d’un monde à l’envers, c’est d’abord pour mieux en délivrer la charge poétique.
L’ART MAGIQUE
Le caractère majeur des oeuvres d’Antoine Corbineau, c’est finalement l’absence totale de pathos. Individus et objets paraissent simplement posés là, dans l’attente d’un regard bienveillant capable de les déchiffrer. À l’instar de Paul Claudel, pour lequel « l’invention picturale ou la fantasmagorie littéraire permettent de supporter le réel désolé en apportant des compensations magiques », le peintre envisage ses images comme des captures du vivant, manière d’en conserver et d’en sublimer l’aura magique.
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When I dove off, 2012. Acrylique sur papier. 30 x 40 cm. |
Chez Antoine Corbineau, les libertés prises avec les règles de représentation ou avec les déformations perspectives traduisent non pas une incapacité mais une volonté délibérée de créer du décalage et de conserver à l’image sa puissance évocatrice. Après avoir longtemps peuplé ses oeuvres de phrases et de citations, véritables formules incantatoires destinées à créer du (non)sens, il parvient désormais à « parler en images ».
Il renoue ainsi avec la fonction primitive de l’image comme outil conceptuel et délivre sa lecture métaphysique d’un monde perçu comme la scène de toutes les initiations. En disant adieu au chaos qui caractérisait ses premières oeuvres, Antoine Corbineau prouve déjà sa capacité à se renouveler et surtout à réinventer ses pistes de recherche.
Il est impossible d’évoquer le personnage sans mentionner cette réjouissante humilité avec laquelle il aborde chaque parcelle de son travail.Peu enclin à la confidence et d’une manière générale assez peu disert sur ses oeuvres, tout juste avoue-t-il son souhait de «mieux faire ». Un sain état d’esprit, fruit de l’exercice périlleux qui consiste à allier art et artisanat sans jamais se perdre.
Nullement inféodé au système de l’art contemporain, Antoine Corbineau gagne sa liberté d’artiste en flirtant avec les compromis et en adoptant la stratégie de l’homme avisé. Il a ainsi intégré à son univers d’artiste tout le bien que le travail exigeant de l’illustration pouvait apporter. Là où le pacte aurait pu produire un dénouement faustien, il est au contraire à l’origine d’un balancement, d’une respiration.
Ce positionnement courageux devrait en inspirer plus d’un, tant il est difficile de naviguer entre art et savoir-faire sans subir l’opprobre de l’un ou de l’autre des deux camps...