Portrait :
CHLOÉ MAZLO OU LA FIN DES ILLUSIONS
Conviée à
déployer sa vision du Divin, Chloé Mazlo expose ses oeuvres à LA Joaillerie, du
29 mars au 3 mai prochain.
La jeune
réalisatrice de films d’animation a délaissé quelque temps appareil photo et
papiers découpés, pour renouer avec la pratique introspective du dessin.
Elle aborde
la thématique de l’exposition de manière inattendue en questionnant la notion
de Croyance, fidèle à ce regard décalé dont elle a le secret.
Quand
croire nous expose fatalement à des désillusions…
Histoires de famille, extrait de
la série, 2014.
Feutre et encre de Chine sur
papier, 10 x 15 cm.
|
Depuis 2007, date
de sa sortie des Arts Déco de Strasbourg et de son entrée officielle dans la
vie d’artiste, Chloé Mazlo s’adonne à la déconstruction des mythes.
L’Amour
m’anime, Deyrouth, et récemment Les Petits Cailloux, sont autant de prétextes pour passer en
revue le Grand Amour, la Famille idéale, le Bonheur.
Elle y dissèque
ces croyances communes et ordinaires auxquelles nous nous enchaînons, au risque
parfois de nous infliger des souffrances inutiles…
Ancrés dans leur
époque, entre crise des idéaux et espoirs déçus, les courts-métrages de Chloé
Mazlo décrivent à des degrés divers les tribulations de personnages aux prises
avec l’expérience du désenchantement.
L’occasion
également pour la jeune artiste de dérouler avec tendresse et un sens rare de l’autodérision,
le fil d’un récit initiatique, aux accents fortement autobiographiques.
Car la porosité
entre sa vie et ses œuvres ne l’effraie pas. Elle constitue au contraire un
trait essentiel de son processus créatif.
L’Amour
M’anime raconte ainsi ses
histoires d’amour ratées sous la forme d’un journal intime mis en images. Avec
Deyrouth, elle relate son
voyage au Liban, à la rencontre de ses racines. Quant à son dernier film "Les Petits Cailloux", sorti au début de cette année, il retrace
son odyssée pour venir à bout d’une longue et douloureuse maladie. Pendant
plusieurs années, ce mal l’a en effet maintenue dans un état de souffrance
lancinante et invisible, lui offrant par la même occasion la métaphore parfaite
de ces maux avec lesquels on se
résigne à vivre…
Si Chloé Mazlo
puise son inspiration à la source de ses expériences personnelles, c’est avant
tout parce qu’elle compte sur le processus d’identification pour embarquer le
spectateur. Une façon de transcender la « petite histoire »
individuelle et de tendre des passerelles entre un Soi introverti et Autrui.
Deyrouth (extrait), 17 min,
2010.
Produit par les Films Sauvages,
avec le soutien du CNC et de
France 2.
|
Cette conteuse
invétérée aime raconter des histoires et y excelle.
Ses films portent
tous l’empreinte d’un goût inné pour la fable et pour le conte, tout en étant
totalement contemporains, aussi bien dans leur esthétique que dans les sujets
abordés.
Sa fantaisie
naturelle trouve en effet sa pleine expression dans une forme de langage
allégorique.
Faut-il y voir la
trace inconsciente de ses origines moyen-orientales ? Initiée dès son plus
jeune âge à l’art de la métaphore, Chloé Mazlo croit à la puissance évocatrice
de l’image poétique. La
représentation « fidèle », voire servile, de la réalité ne
l’intéresse pas.
Histoires de famille, extrait de
la série, 2014.
Feutre et encre de Chine sur
papier, 10 x 15 cm.
|
Artiste
« poil à gratter », espiègle et grave à la fois, Chloé Mazlo se sert
du conte pour aborder les « sujets qui fâchent ». Mais toujours l’air
de rien.
Pourtant on
aurait tort de s’y fier. Derrière la légèreté apparente se cache un vrai désir
d’interpeller le spectateur, de le maintenir en éveil.
Pour cultiver cet
art capable d’impressionner l’inconscient du spectateur sans l’intimider, Chloé
Mazlo affûte régulièrement son regard et ses idées au contact des enfants. Un
public certes exigeant, mais dont le regard frais, non conventionnel, décalé et
imprévisible réactive chez elle des données essentielles : les souvenirs
bien sûr mais surtout certaines tournures de pensées que l’expérience de la vie
d’adulte finit par corrompre par excès de raison.
Une façon
d’entretenir sa propre curiosité et de varier les angles de vue ? À moins
qu’il ne s’agisse seulement d’éviter l’autosatisfaction.
Car Chloé Mazlo
le sait bien : l’expérimentation et les prises de risque constituent le
sel de la création. Ils entretiennent l’envie mais surtout ce sentiment de
précarité et d’urgence qui pousse à l’action.
Née au sein d’une
famille de joailliers d’origine libanaise parachutés en France par les turpitudes de la guerre, Chloé
Mazlo a été élevée dans l’idée que rien n’est acquis. Rien ne résiste au temps.
Elle en a hérité un besoin aigu d’autonomie. Adepte de l’économie de moyens et
profondément pragmatique, elle compose donc avec peu, pour dépendre le moins
possible, comptant sur la créativité pour compenser la pauvreté des moyens mis
en œuvre.
Le « savoir
faire seule » comme préambule aux savoir-faire…
La liberté et ses
enjeux sont certainement le dénominateur commun à toutes les composantes de son
parcours et de son univers.
Car tout chez
elle est affaire de rencontre et de négociation. D’apprentissage et de
domestication de l’autre. Ou de soi ? C’est selon.
Histoires de famille, extrait de
la série, 2014.
Feutre et encre de Chine sur
papier, 10 x 15 cm.
|
Bouger, évoluer,
explorer. Chloé Mazlo conçoit l’art comme un mouvement perpétuel : elle
saute ainsi d’un projet à l’autre, d’un médium à l’autre, avec une facilité
déconcertante. Comme si elle survolait l’existence, furtive, sans jamais être
atteinte par les évènements.
En personnage
paradoxal, elle ne se laisse jamais réduire à une définition et craint les
positions définitives autant que les vérités toutes faites. Cette façon d’être
toujours de passage qu’elle cultive au quotidien se retrouve d’ailleurs dans
son goût pour les créatures de l’entre-deux, pour les situations décalées et
absurdes.
Dans ses films
comme dans ses dessins, elle évoque souvent les animaux, les
« freaks » et autres êtres hybrides. Comme si elle se sentait finalement
plus d’affinités avec eux qu’avec ses semblables. Ainsi, elle s’épanche
rarement sur ses sentiments et maintient toujours avec son interlocuteur une
distance qui tient moins de la pudeur que d’une certaine défiance.
La rencontrer
c’est d’ailleurs faire l’expérience de l’abîme qui la sépare de ses œuvres.
Difficile d’imaginer que cette jeune femme si amène soit à l’origine de
certaines de ces images, dont la violence sous-jacente, voire la crudité, est
d’autant plus dérangeante qu’elle est dépourvue d’effet et d’une désarmante
sincérité.
Les Petits Cailloux (extrait),
court-métrage, 15 min, 2014.
|
Chloé Mazlo aime
questionner les apparences et nous rappeler combien elles sont trompeuses.
Pour l’exposition
Le Divin (é)Moi, elle met d’ailleurs la causticité de son regard au service
d’une série de dessins originaux, rassemblés sous le titre « Portraits de
Famille ».
Depuis son
initiation aux Arts Déco, elle n’a jamais cessé d’utiliser et d’explorer le
dessin dans ses travaux et l’aborde toujours avec plaisir, car elle le sait
capable de débarrasser la vision de ses stéréotypes encombrants. Sensible au
pouvoir libérateur de ce moyen d’expression primitif, incontrôlé et spontané,
elle s’attaque cette fois aux simulacres du bonheur.
Avec son style
singulier, inclassable et volontiers qualifié de « grinçant », Chloé
Mazlo offre une version sans fard de la prétendue félicité familiale, véhiculée
par les albums photos.
Ainsi décapé, le
passé est restitué dans son ambiguïté originelle. Vus sous cet éclairage,
l’oncle débonnaire paraît soudain beaucoup moins bienveillant, les sourires de
circonstance dissimulent mal le malaise intérieur et la solitude.
Tous ces
personnages inquiètent au point que l’on se demande si, l’instant d’après, ils
ne se sont pas entredévorés.…
Chloé Mazlo met
ainsi à jour toutes ces illusions qui bercent nos années d’enfance et que l’on
voit se déliter, impuissant, à
mesure que l’on grandit et que les langues se délient.
Histoires de famille, extrait de
la série, 2014.
Feutre et encre de Chine sur
papier, 13 x 18 cm.
|
Interrogée sur
ses projets futurs, cette inconditionnelle de la série documentaire belge
« Strip-tease », confie vouloir poursuivre ses investigations dans
les recoins de l’inconscient et dans les méandres des mythes familiaux.
S’attarder encore
sur les contours de nos vies banales, pour questionner la faillite de nos
croyances, de nos convictions, de nos rêves, et mettre ainsi à jour toute la
violence à l’œuvre derrière les masque grimaçants et les sourires en carton
pâte…
Difficile de
rester insensible à l’humilité de Chloé Mazlo, tant on la sent travaillée par
la crainte de ne pas être encore totalement légitime, au sein de la famille des
artistes.
La
« famille », encore elle, et finalement l’envie d’y croire…